





Cinq jours en Campanie : une voiture, une tente, un matelas gonflable, des chaussures de marche, un sac à dos chacun, et le sac à provisions.
JOUR 1 – Départ à l’aube, ou presque. Adieu la ville, le pavé gris, les feux de circulation et les files embouteillées. Le bitume défile, de tunnel en tunnel. L’un avec les mains sur le volant et l’autre avec le doigt sur la radio, le jeu des chansons, comme un rituel, qui remonte aux premiers voyages en voiture qu’on a faits : quelques secondes pour identifier la mélodie, si quelqu’un la connaît, on la garde, si ça ne dit rien à personne on passe à la station d’après. Si on ne peut pas chanter sur les paroles ça n’a aucun intérêt.
Premier arrêt: Casaletto Spartano, pour un croissant et un café. L’église au milieu du village, et la petite place à ses pieds, où les vieux messieurs se réunissent pour papoter (pendant que leurs épouses font la file au marché). On y passe pour son attraction principale, une cascade à l’eau tellement pure qui tombe en gouttes tellement délicates qu’on la surnomme ‘cheveux de Vénus’. Un endroit d’une telle pureté qu’il est interdit aux touristes d’y tremper leurs pieds (on avait pris nos maillots au cas où, on a un peu déchanté). On se console de l’autre côté du pont, il y a un petit lac bordé de rochers, on se pose pour manger un fruit, et pour constater que l’eau est G L A C É E. Ca, c’est fait.
Après un passage sous l’Arc de Palinuro, protégé par des filets pour empêcher – apparemment – les bouts de pierre de tomber sur la tête des gens, et une tête dans l’eau surpeuplée, il est temps d’élire notre premier campement. Côté droit, c’est une plage bondée, avec son Lido, ses restos, ses transats alignés. Côté gauche, il faut grimper quelques pierres, mais une fois de l’autre côté, c’est une plage calme, avec ses galets, ses quelques humains posés ici et là, et ses rochers surplombants, montagnes majestueuses aux pieds desquelles se sont formées des grottes naturelles. C’est au creux de l’une d’entre elles qu’on pose nos sacs à dos. C’est une alcôve en pierre, protégée du vent et des marées, quelqu’un a même mis un tronc d’arbre devant, ça sent le lieu prisé et c’est un lieu parfait pour passer la nuit. On déplie la tente, on roule un joint, on trinque avec nos bières, le ciel est rose pâle et bientôt il fera nuit, mais juste avant, pendant que je marchais vers lui, que je sentais le sable fondre sous mes pieds et les vagues me lécher les chevilles, j’ai pris une photo mentale, je me suis dit, garde cette image au chaud, l’été est bientôt fini, le temps file et bientôt tout ça sera loin, mais clic, ce moment est conservé, tel qu’il est là tout de suite, avec toute sa magie, avec l’air tiède et l’eau salée, les gens autour, et nous, et les odeurs, et les bruits.
JOUR 2 – Je vous avais dit qu’on était en Grande Grèce ? L’Athénienne que je suis s’amuse et s’enorgueillit, jouant la carte de la conquérante chauvine avec une dose de mauvaise foi chaque fois qu’on passe devant des ruines. « Ces machins c’est nous qu’on les a construits ! » On passe devant des anciens noms grecs romanisés, des temples qui me rappellent l’Acropole mais en moins massif, je me plais à m’imaginer que les gens qui foulaient cette herbe il y a des siècles avaient un air qui m’est familier, une peau un peu tannée, un nez un peu pareil.
Sinon, meilleure idée de la journée : le sentier des amoureux en amoureux, ou un trek en montée raide de deux kilomètres sous le soleil de plomb du mois d’août. On a transpiré l’équivalent d’une piscine olympique, mais la vue en valait le coup. Et la photo stylée où je suis (sue?) de dos et ma robe vole au vent tout autant. Et la satisfaction de plonger dans la mer en redescendant n’en est que décuplée.
Pour la deuxième nuitée, on a opté pour le camping organisé, pour retrouver le plaisir de l’eau courante, des prises de courant, et de manger dans un restaurant. Le gérant nous a trouvé un endroit parfait, assez près de la plage pour entendre le bruit des vagues, sans se mouiller pour autant.
JOUR 3 – Visite de Paestum, que mes ancêtres (lol) appelaient Poseidonia, en hommage au dieu de la mer, qui les avait guidés jusque-là. Les pierres jaunes et blanches brillent sous le soleil. Ruines majestueuses de vies passées, là un temple, là un amphithéâtre, plus loin les restes d’un marché, la fosse d’une ancienne piscine vide, j’essaye d’imaginer les gens qui y vivaient, d’imaginer des parois qui séparaient le salon de la chambre à coucher, comment ils parlaient, comment ils s’aimaient, comment ils se disputaient. Je chipe une figue mûre des branches d’un figuier qui a poussé je ne sais pas quand entre deux temples fièrement dressés.
On déjeune dans la voiture, de mozzarella fraîche qui glisse entre les doigts, le jus blanc qu’on ramasse avec les bouts de pain entre deux virages. La voix de la radio se mêle à celle du GPS même si on sait où on va. Dernière étape, la côte d’Amalfi, ses routes tortueuses, ses citronniers par milliers, les côtes escarpées face à la mer, et Pino Daniele pour nous accompagner, ‘na tazzulella ‘e cafè.
Dernière étape mais pas des moindres, pour terminer en beauté : trois nuits à Cannaverde, chez Ale, avec Merz et Melike. Les escaliers face à la mer, le vert et le jaune des arbres fruitiers, les salamandres qui se faufilent entre les pierres, les chats qui te regardent d’un air blasé, les croissants et le café fumant au petit-déjeuner, et la piscine toute neuve – laissez-moi ici svp.
Parenthèse enchantée dans un été Covidifié.
(à contrecoeur, il aura bien fallu rentrer.)